vendredi, juillet 07, 2006

LES HUMEURS DE JADE:
Je hais les pigeons

Les Humeurs de Jade: Tous ces petits riens qui m'irritent, toutes ces grandes choses qui m'emmerdent. Tout, enfin, ce qui empêche le lézard vert de lézarder inoffensivement dans son antre en fredonnant tranquillement l'air de sa dernière ritournelle intérieure (en ce moment, c'est WHAT'S YOUR SIGN de Des'ree).

7h57.
Tout proche, un claquement d'air caractéristique d'une paire d'ailes me réveille en sursaut de ma torpeur matinale. Alons bon! Vu la force du bruit, l'emplumé gris a confondu la fenêtre ouverte de mon salon avec l'ouverture d'une de ces cavernes dans laquelle ses ancêtres ont construit leur nid. Je me tâte un instant: faut-il sacrifier les quelques minutes de sommeil qui me restent à chasser le pigeon de mon salon? Les risques envers la moquette de mon salon me convainquent finalement de me lever pour chasser l'intrus.

Vous n'avez jamais vu de la fiente de pigeon? C'est blanc et vert foncé, ça colle quand c'est frais, c'est dur quand c'est sec. C'est tellement acide que ça ronge les peintures et la pierre si vous faites l'erreur de la laisser là où ça tombe. Bref, ma haine des pigeons tient plus à leur habitude malsaine de distribuer joyeusement les résidus de leur digestion à tout ce qui à le malheur de traîner en dessous d'eux que d'une quelconque peur des virus qu'ils pourraient trimballer.

Observez-les se pavaner en hauteur, perchés sur un quelconque monument parisien. Leur yeux ronds vous jugent et vous scrutent: 350 degrés d'angle de vision pour s'assurer qu'ils sont en sécurité. Ils savent que vous les regardez, mais savent aussi que vous ne pouvez pas les attendre. Alors, d'un pas rapide mais décidé, ils s'approchent du bord, se retournent et lâchent une longue ventrée de guano. Comme ils ne sont pas bien intelligents, ils ne visent pas très bien. Le jet macule presque toujours le support, s'étire en une traînée le long de la façade en dessous et vient généreusement étoiler le sol.

Bien entendu, le terne volatile est introuvable dans le salon. Je suppose qu'il s'était perché sur la balustrade de la fenêtre et que son envol m'a réveillé. Sur le tapis sous la fenêtre, deux plumes de duvet de pigeon attestent de son existence. Je regarde l'heure, ramasse les deux plumes et m'en débarasse par la fenêtre. Distraiement, je suis leur descente jusqu'à la cour en bas. Je laisse la fenêtre ouverte, la fraîcheur du matin est agréable.

Revenant dans la chambre, je me laisse tenter par le lit et me recouche pour un micro-roupillon. Je commence à repartir vers Morphée quand un nouveau claquement d'ailes me réveille. Le bruit est TRES proche! Je me retourne sur le dos dans le lit. Là! Sur la tringle du rideau de la fenêtre de la chambre, une paire d'yeux me toisent! Saloperie de pigeon! Il est entré pendant la nuit!

Je me lève derechef et chasse l'impertinent de la chambre vers le salon. La fenêtre ouverte est trop tentante, l'oiseau fonce et quitte définitivement mon domicile. Un peu perturbé par cet intrusion, je me mets à me rappeler quelques faits. En partant hier matin, j'ai remarqué qu'une chemise que j'avais laissé pendue à la poignée de la fenêtre avait été tachée par une fiente de pigeon. Sur le coup, j'avais juste pensé avoir la malchance de passer sous un perchoir au moment précis d'un bombardement aviaire. Puis, hier soir, une tâche blanche suspecte sur le tapis devant mon bureau, tâche pulvérulente qui s'était désagrégée à la première inspection de mon ongle. Juste un bout de craie ramené sous les chaussures?

Un soupcon m'étreint, un oeil neuf commence à examiner l'appartement familier à la recherche de perchoirs potentiels. La tringle du rideau de la chambre est la première mise en garde à vue. Puis au vu des tâches sur la moquette, rapidement inculpée. La moquette est tâchée, la vitre affiche une traînée verdâtre. Le drap de bain négligemment étalée sur l'aspirateur qui trône sous le coin de la fenêtre est souillé. Le rideau, pourtant juste en dessous du profanateur semble, miraculeusement, intact.

Commence alors un gymkana pour récupérer le tabouret, trouver un détergent -Zut, presque plus de nettoyant pour vitres, faudra en racheter.- et nettoyer les traces du délit. Je commence inefficacement avec la première chose qui me vient à l'esprit, du PQ, avant de réaliser, au dixième feuillet, que l'étendue des dégâts va me bouffer le rouleau. Je vais chercher son grand frère le fameux sot Palin afin de finir la vitre et le dessus de la fenêtre. Au vu de la sécheresse de certaines traces, le volatile s'est invité chez moi hier après-midi par la seule fenêtre ouverte, celle de la cuisine.

Je passe l'aspirateur pour récupérer ce qui est aspirable de la moquette. J'enchaîne avec la tringle du salon. Ouf, pas de dégât apparent. Juste une fiente séchée perdue sur les boîtes à chaussures sous la fenêtre. Je gratte le résidu crayeux, balance les chiffons de cellulose dans la poubelle de chambre et part ranger le produit lave-vitres dans la cuisine.

De retour dans la chambre, je remonte sur le tabouret afin de m'assurer d'un doigt que le dessus de la tringle n'est pas sali: ouf, pas de mal. Et mon regard tombe sur le dessus poussièreux de ma petite étagère... Des traces de pattes, évidentes dans la poussière grise sur le noir des baffles qui couronnent l'étagère! Mon sang ne fait qu'un tour, une rapide translation du tabouret révèle que la baffle jumelle a subit les ultimes outrages. Je repars dans la cuisine récupérer mes agents tensio-actifs. Nettoyage.

Mon oeil scrutateur détaille les autres perchoirs potentiels. Parmi les livres surplombant l'étagère, je découvre un autre oeuf de Pâques, délicatement collé entre les deux couvertures cartonnés d'un album de BD. Heureusement, mon pavé sur M.C. Escher semble intouché. Loués en soient les Muses.

Le dessus de ma porte de ma penderie, perpétuellement ouverte, n'a apparemment pas plu au malotru. Le dessus de la porte séparant le salon de la cuisine a manifestement gagné le concours: le blanc du radiateur a été cassé par un filet noirâtre, une écharpe sur un des porte-manteaux arbore une pointe de couleur qui jure avec ses teintes habituelles.

Je nettoye au mieux, le temps passe et il va falloir partir pour le boulot. Tant pis pour le semblant de ménage que je comptais faire ce matin, j'essayerai de le faire ce soir. Si j'en ai le temps. Pour aujourd'hui en tout cas, au diable la canicule, la fenêtre va rester fermée.